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Le Mur

               Silencio marchait les mains dans les poches sans destination précise, laissant gré à ses jambes de le mener où bon leurs semble, tantôt traversant une place, tantôt montant un escalier. Sa pensée, quand à elle, ne le menait nul part. Cette étrange promenade sans destination était un rituel auquel il s'abandonnait avec délectation. Pour qui sait observer et prêter attention, la rue offre un spectacle toujours nouveau et riche en sensations.

 

               Arrivé sur la Place des Misérables, Silencio s'assit sur un banc et se mit à ne penser à rien. Il y avait bien quelques idées existentielles et combattantes qui tentait l'ascension de sa forteresse mentale, mais Silencio leur décocha des flèches imaginaires afin de les dissuader. Comme elles étaient tenaces et répétaient inlassablement leurs assauts, il finit par avoir recours aux canons. Elles finirent par abandonnée la place laissant derrières elles un carnage d' idées agonisantes. Plus tard, mais bien plus tard, un commando d'idée spécialement entraînés, réussira à pénétrer grâce au stratège du Cheval de Troie, mais il s' agit ici d'une autre histoire qu' il n'est pas encore temps de conter.

 

               Silencio abandonna un moment la bataille héroïque contre sa pensée et se concentra sur un vieux monsieur qui tentait en vain d'ouvrir une porte. Cette dernière, malgré maint efforts et suppliques de la part du vieillard, persistait avec une suffisance hautaine, à refuser de s' ouvrir, et ce, pour la simple et bonne raison qu'il n' y avait en réalité aucune porte. Du moins en réalité ! Il n'y avait là qu'un pauvre mur au crane dégarni avec un graffiti tatoué sur l'épaule, et qui ne savait trop comment y faire avec cet individu qui insistait et insistait pour entrer, bien que le mur le lui fit comprendre plusieurs fois, avec beaucoup de courtoisie, que cela était impossible, qu'il fallait qu' ils se rende à la raison. Aussi comme tout pauvre mur qui ne sait trop quoi faire, il resta planté là avec l'air un peu con.

 

               Silencio finit par se lasser du spectacle et ne resta pas, ce qui est bien dommage, car s'il était resté, il aurait vu ce même individu, obstiné dans sa folie, revenir quelques temps plus tard et d'une voix hautaine demander au mur : « Alors comme ça, tu ne veux pas me laisser entrer ? »

 

               Le mur se retint bien sûr de répondre à l'insolent - il s'agissait là d' une tradition de plusieurs millénaires selon laquelle tout mur qui se respecte se doit de s'abstenir de répondre à un propos peu courtois ou déplaisant, voire à tout propos, quelques soit sa nature (seulement lorsqu' ils sont absolument certain qu' il n'y a personnes pour les entendre, remuent-ils le lichen de leurs lèvres et chuchotent pour eux-même une pensée philosophique minutieusement méditée durant de longues heures de silence. Cependant à force d' attendre le moment opportun, finissent-ils le plus souvent par oublier cette pensée si longtemps méditée, et c'est lorsqu'ils auraient enfin l'occasion de prendre la parole qu'en dépit de tout restent-ils coi).

 

               Le vieil homme perdit patience et sorti un revolver de la poche intérieure de sa veste et tira à bout portant sur le mur. Celui-ci lâcha un râle lugubre de vieilles pierres et s'écroula. « Fils de pute ! » cracha l'individu avant d'entrer.

 

               A vrai dire on ne sait trop où il entra, car Silencio était déjà parti depuis longtemps et depuis l'angle où je me trouve pour vous raconter cette histoire stupide, il m' est difficile de le voir ; mais ce qui est sûr c' est qu'il entra.

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